et ma main dans ta gueule lentement t'empoisonne → anushka

silence qui peuple la pièce, elle essaie de tendre l'oreille mae, d'écouter les poussières qui volettent à travers les maigres rayons de la fenêtre. le soleil s'étale, le soleil se tombe, se meurt face à ses yeux bien ouverts - même si quelques mèches de cheveux plastiques viennent l'obstruer. un sourire sur le visages, ses mains sont enduites de peintures vives mélangées. elle inspire, expire, cette fois-ci sans chaussures pour pouvoir mieux bouger, sans robe non plus. elle mélange la tenue masculine avec un visage des plus féminins - chemise blanche ponctuée d'un pantalon noir, seul sa bouche peinte d'un rouge écarlate vient provoquer le trouble. elle renifle un peu - s'étire et s'assoit en tailleurs à même le sol. du tissu est posé là-bas, puis ici, puis encore là-bas, des croquis sont faits, à la fois maladroits et concis pour son esprit - elle baille, ne sait depuis combien d'heures elle est ici. elle se souvient avoir un peu dansé, déambulé la clope au bec pour essayer de nouveaux gestes. elle se dit qu'il faut qu'elle se lève pour aller en chercher une autre de cigarette - mais la table est trop haute, et la terre trop basse. soupir qui vient déranger ses pulpes tremblantes, elle ferme les yeux - hausse les sourcils en entendant la porte claquer.

une porte qui claque pourrait être synonyme d'un vent. une porte qui claque pourrait faire écho à une femme furieuse dont le besoin de faire violence est bien trop présent. sans aucune surprise, c'est la seconde idée qui s'offre à lui. paupières qui lui laissent revoir le monde tel qu'il est - avec anushka dans sa ligne de mire. anushka qu'est rouge de colère, rouge de haine, rouge loin des passions tragiques qui se terminent couteau au coeur. elle pince sa lèvre inférieure, friande de ses aventures catastrophiques.
- y'a une bouteille juste là chérie.
coup de tête en l'air pour signifier la table où toutes les affaires y sont laissées, un verre à moitié plein, une bouteille pas mal entamée à côté - du rhum - et le paquet trop loin pour qu'elle s'en grille une pour la forme.
- je t'écoute.
sourire qui s'étire. oh la vilaine.
- c'est quoi le souci ?
anushka elle écrit des romans - à coups de poings et de hurlements.

C'est la phrase de trop, celle que l'on prononce sans même le vouloir, qui provoque des ouragans, détruit des vies et avant même que l'on ne s'en rende compte, la terre a implosé. Comme souvent - comme toujours - c'est cet imbécile de Manuel Flores qui la balance, cette phrase, transformant instantanément Anushka en une furie vivante. Elle ne sait même plus bien ce qu'il a dit ; mais le souvenir de son intonation suffisante, son air serein, suffisent à raviver la flamme de sa colère. Dans ces cas là, deux options. Elle peut entrer dans une rage noire, Anushka, balancer des insultes à n'en plus finir, faire une scène. Et puis la seconde : elle s'en va. Simplement, elle quitte la pièce comme une reine, tête haute et regard fier, affichant un profond dédain pour tout ce qui se trouve sur son chemin. Aujourd'hui, elle opte pour celle-ci. Parce qu'elle sait très bien où elle va aller trouver la compagnie qu'elle cherche tant, l'une des seules ne déchaînant pas ses foudres. Parce que partout autour d'elle, les gens sont possédés, par l'alcool ou par les drogues, et elle en a marre. Alors, elle s'en va chercher Mae, retranchée dans un atelier, loin de la fête qui bat son plein. Elle l'a vue entrer des heures plus tôt, et est sûre qu'elle est encore dans les parages.

Bingo. La porte poussée, Anushka trouve Mae au sol, les mains recouvertes de peinture. Elle lui désigne la bouteille, et c'est l'appel de l'alcool. Alors qu'elle s'asseoit sur un tabouret, elle empoigne la flasque de rhum, d'un geste vif, brut, et aussitôt la porte à ses lèvres. Le liquide coule dans sa gorge, brûlant et réconfortant à la fois. Elle soupire. « Tout ce dont j'avais besoin », elle râle, morose.

Mae l'interroge, Anushka lève les yeux au ciel, aussi consciente du ridicule de sa colère qu'elle a envie de rager encore. « Oh rien, » elle affirme, balayant la conversation d'un revers de la main. « Manuel qui s'amuse à me faire piquer des crises. » Elle finit par lâcher, parce qu'elle ne peut cacher quoique ce soit à Mae.

« Qu'est-ce que tu fais par terre ? » Elle finit par demander en fronçant les sourcils, finalement intriguée - plus que surprise - par la posture de son interlocutrice.

jamais rien avec anushka, jamais, que du peu, que des broutilles, que des bêtises qui dans son esprit ne sont que des combats répétitifs. presque ennuyeux. simples même. pourtant elle ne semble pas comprendre, pas prendre en considération qu'en ses mains elle a le flambeau de la destruction d'une décennie vouée à mettre au tapis les femmes aux visages poudrés. ça la fait sourire mae, toujours plus fort, toujours encore, un peu moqueuse, un peu rieuse, si bien que ça fait jouer les cordes vocales dans un tintement presque cristallin. elle roule des yeux, entend un prénom qui ne lui est pas inconnu - que jamais ne changent ces batailles ridicules, qui pourtant petit à petit animent sa rage de retourner une planète entière, et ce au nom de son visage poupon marqué au fer. mae s'étire un peu, presque tentée de s'allonger sur le sol pour y trouver une certaine sérénité - à la place elle la regarde, ça lui va si bien à anushka la bouteille entre ses doigts qui accueille ses ondes, l'alcool qui se secoue sous ses tremblements dépassés.
- tu sais que... cette bouteille épouse parfaitement la forme de ta main ? on dirait que ta main a été imaginée pour elle. certaines femmes s'en sortent mieux avec un bouquet de roses, de tulipes ou pourquoi pas de tournesols. d'autres préfèrent bijoux, parures brillantes - tout comme mae qui ne saurait se passer de cette superficialité. et puis il y a celles, qui une arme à la main, une flasque dans l'autre se débattent, se mouvant dans une gueule presque refermée - celle des hommes décérébrés.
- et qu'est-ce qu'il a dit cette fois ?
une énième manière de faire la cour, celle de lui faire voir rouge, ne faire de son horizon qu'un paysage monochrome, teinté d'une passion mêlée à la haine. elle regarde la peinture sur le papier, sur une toile plus loin - elle n'est sûre de rien, moins encore que les jours précédents.
- pour être tout à fait honnête...
silence, ses épaules se haussent.
- aucune idée. je pourrais enjoliver les choses, te dire que j'attends que la peinture me parle, que j'y vois, ah ! des formes bon sang, des fooormes incroyables. mais non. que des couleurs.
sa tête tombe en arrière, la réflexion s'attarde au plafond.
- qui sait, je pourrais peut-être en inventer une.