fire is jealous. It wants all the beauty for itself. - margot

grimper aux rideaux de fer → L'entrée des artiste du Metropolitan Opera of New-York, il la connait. Il y est entré plusieurs fois avec son père, pour pouvoir voir des spectacles des coulisses, sans faire la queue pendant des heures.
Dans ses souvenirs, la porte était plus petites, les murs plus rouges, les lumières des lampadaires plus jaunes. Il pense, en souriant, que la vie quand on est petit, c'est comme un trip au LSD. Et il se tape une barre tout seul, avec sa clope.
Il s'imagine le revoir. Il le dira pas, mais la seule fois où il a acheté le journal en quatre ans, c'est parce que Margot faisait la une du New-Yorker, et qu'il était incroyablement curieux. Il se souvient de l'article, c'était sur un ballet, lequel, ça il ne sait plus. Bon en fait il a une mémoire absolument pathétique, il se souvient seulement de la photo, tout simplement sublime. Il l'a regardée pendant longtemps, si bien qu'on s'est foutu de lui. Un hippie amoureux d'un danseur de ballet. L'anarchie contre l'ordre social et culturel le plus établi du monde occidental. Eh bien parfait. On le faisait chier là dessus, tout était faux, il aimait juste la photo, il pouvait se vanter d'avoir déjà vu (en vrai de vrai) le danseur en question. Une petite fierté. De toutes les célébrités qu'il a rencontrées, Margot est sans conteste la plus belle.
Il attend donc, la sortie de coulisse. Il n'est pas anxieux, il veut juste le voir, lui dire bravo pour la performance (qu'il n'a pas vue, ce sera de la politesse pure et simple, ou alors il fera référence à la photo du journal). Lui proposer d'aller boire un verre, lui proposer de parler un peu. Il sait pas ce qu'il veut, mais ses quatre années à San Francisco l'ont déculpabilisé.
Ils finissent par sortir les artiste, comme prévu, par la porte coupe feu qui ne s'ouvre que dans un sens. Une troupe entière de jeunes filles qui piaillent et se congratulent, en mettant leurs trench et en positionnant leur coiffure à la perfection. Puis quelques types, beaucoup moins nombreux, et d'autres.
Finalement Margot Cusher sort, accompagné de deux gars, très grands. Il a un manteau qui lui tient certainement trop chaud.
Il le regarde passer. Il ose pas interpeller, il clope, contre le mur, il espère capter un regard.
Mais rien, il n'est pas dans le champ de vision de Margot.
Il faut prendre son courage à deux mains Arthur. Il se racle la gorge. " Margot !" Les trois se retournent.
Il n'est pas certain qu'il est remis immédiatement par Margot, faut dire qu'avec les cheveux longs c'est une autre histoire. La seule et unique fois où ils se sont vus, Arthur avait une taille de cheveux normale. Il tire sur sa clope, sans quitter le mur auquel il est appuyé, comme un totem qui lui porte chance. Il sourit, doucement : " C'était vraiment bien ce soir, franchement bravo !" Il connait même pas le nom de la pièce qui est jouée.
Et puis entre nous, c'est le pire compliment du monde.

it wants all the beauty for itself → il sort par la petite porte. humble passage pour les danseurs qui brillent la nuit. il sort. éteint. rincé. presque à bout. presque ramassé sur le sol. entouré dans cet fatigue, il suit ses camarades, vacille entre deux virages. trouve enfin la lumière qui mène au goudron infini. aux rues bruyantes. à la vie pathétique, à la ville fantastique. il raclera l'asphalte de ses pas lourds. divaguera en rêveries. il imagine déjà le retour, long et pénible jusqu'au queens. jusqu'au trou, noir et sombre. jusqu'au fin fond de la galaxie.
on l'entoure, on lui parle, il acquiesce, il rumine. silencieux.
âpre air de la ville
souffle chaud de la vie trop vive.
ça lui caresse la peau, ça lui éreinte le dos
ce pauvre ciel grisonnant,
trop plein de nuages
trop lourd pour sa nuque fragile.
trois pas en avant
un regard en arrière
et les années défilent à l'envers
c'est pas la voix qui marque, c'est ce que margot découvre au bout de ses yeux. trop de mèches qui s'échappent d'un visage trop bien connu.
- arthur ?
c'est replonger vers la ligne de départ, c'est replonger à l'époque de la lueur façon briquet. et les deux silhouettes encadrantes s'effacent.
c'est comme y a cinq ans
c'est toujours aussi troublant
que de se rappeler ses traits
sauf que là ils claquent de vérité
sauf que là tu les vois en face
- euh, merci. je te croyais... enfin ça fait longtemps.
figé comme un con
ça tabasse le retour en arrière vitesse lumière
ça tabasse encore plus quand ton corps hurle de fatigue.

grimper aux rideaux de fer → Soudainement, alors qu'il se tourne vers lui, l'image du journal lui revient en tête.
Et elle se met en mouvement.
Cette silhouette sublime, gracieuse, inhumaine ou semblable à une statue grecque. Du peu qu'il s'y connaisse en antique, il est certain que Margot pourrait avoir été sculpté par les romains. Un Hyacinthe des temps modernes, un Apollon androgyne.
Une silhouette capturée, instantanément, par la force d'un objectif. Pour qu'à tout jamais, il puisse être admiré dans les journaux, et finalement, pour l'éternité, par Arthur, qui n'a jamais oublié cette photo.
En revanche son visage avait disparu dans les limbes de sa courte mémoire.
De sa mémoire à trou.
Il avait oublié la finesse de ses traits, et le rouge de ses joues, de ses lèvres. Ou c'est peut-être simplement après une représentation, il en sait trop rien. En tout cas, Margot sourit, au moins un peu, ce qui veut dire qu'il le remet, ce qui veut dire qu'il n'a pas totalement disparu de son esprit. Oh il n'y a rien de pire que d'être oublié.
Il pourrait faire le mec qui comprend rien, le mec qui esquive la phrase, le "je te croyais ailleurs", passer outre, l'inviter à boire un verre. Il pourrait faire son lover, son Elvis, danser, très mal, moins bien, mais danser au moins. Au lieu de ça, il se rapproche.
Il oublie les deux mecs à côté, il tire sur sa clope, et il dit doucement : " Je me demande bien où tu m'croyais." Avec un sourire. Il jette un regard à un des deux gars, qui fait signe à son ami de partir, comme s'ils n'avaient pas besoin de permission pour les laisser seuls. Il lui tend une cigarette.
Il sait pas quoi lui dire, il préfère le regarder.
C'est plus facile, moins risqué.

it wants all the beauty for itself → correction instantanée, le visage plein de brouillard se confond en netteté. se confond en souvenirs brumeux. danseur, peut-être pas penseur. c'est loin, aussi loin que s'en est proche. y a pas si longtemps il raclait le parquet, se bousculait au fond de la scène pour récolter une once de lumière. maintenant il n'est qu'éclat incandescent, éclat subtil. en sursis.
alors il allumer la clope
comme y a cinq ans
ça lui laisse le temps de réfléchir
de vomir
sa détresse
parce que les mots se pressent
il se souvient des émois
de la jeunesse trop folle qui lui racontait des conneries
qui voulait lui faire voir en arthur un garçon apollon
il se souvient des idioties
aussi bien que du visage
- je te croyais disparu, mort, noyé, blessé, évaporé, perdu dans la ville ou je ne sais où. je te croyais seulement, faute de pouvoir confirmer ton existence.
mais c'est lui qui s'évapore
en fumée opaque
plaquée aux lèvres carmines
plaquée à la peau de marbre
kaolin sur le corps
porcelaine ou pantin
il est pas fait pour la vie humaine
la vie mondaine
pour les retour en arrière qui te collent au fond du siège
- que me vaut cette réapparition divine ?
sourit encore
sourit toujours
on verra pas ton trouble sous le voile d'un rire
peut-être qu'on voit rien d'ailleurs
peut-être que t'es simplement trop beau
pour qu'on gratte pour voir en dessous de la peinture

grimper aux rideaux de fer → Il prend la clope. Arthur n'a pas pensé que les danseurs ne fument pas. Naïvement, il veut plaire, il veut être apprécié, alors il donne une cigarette, en gage d'amitié. Mais les danseurs doivent économiser leurs poumons, alors un instant, ça lui revient, et il s'en veut d'être le fruit de la transgression, un serpent au paradis.
Ca le fait sourire, il s'imagine comme une bad influence, ce qui n'est pas sans lui déplaire, il doit bien l'admettre.
Il y a des personnes qui sont faites pour avoir une clope au bec, il est certain d'en faire partie.
Mais ce n'est pas le cas de Margot.
La cigarette est trop grande pour sa bouche, sa bouche est trop rouge pour la couleur sable du filtre. Ca ne marche pas, il y a quelque chose qui cloche.
Et puis ça sort, la liste de possibilité. Il fronce les sourcils Arthur et regarde le ciel étoilé en se marrant. Il reprend pas à pas, en énumérant. " Alors voyons voir, disparu oui, mort non, noyé j'ai failli, blessé plusieurs fois, évaporé aussi, perdu mais pas dans cette ville. Promis j'ai jamais cessé d'exister." Ca le fait sourire. Il imagine les deux trois fois où il a failli mourir blessé, simplement à sauter du haut d'une falaise, comme un con, de plonger si profondément qu'il n'était pas certain de revoir la lueur du jour.
Il sourit aussi Margot, ça lui va bien mieux que les visages froids que peuvent prendre les artistes, une fois sur scène.
A la question suivante, il ne sait pas vraiment quoi répondre.
C'est vrai ça, pourquoi il tenait tant à le revoir ?
Il sait pas vraiment, alors il va dire la vérité. " J'ai vu une photo de toi dans le journal il y a un an, et on voyait pas très bien ton visage. Je voulais m'en souvenir." Il le fixe, comme pour garder ce visage en mémoire plus longtemps que trois ans.
Il a pas peur de le mettre mal à l'aise.
Il a peur de rien.
Un coeur de lion.

it wants all the beauty for itself → clope, clope, clope. concentre-toi sur la clope. brume acre et visage aux cheveux longs. ça se confond dans tes yeux. tu sens plus tes jambes? c'est normal. tu sens plus ton souffle se balader au dehors? c'est normal.
arthur,
ici?
normal?
non sûrement pas. il est pas censé, pas prévu dans les pronostics. pas prédit. pas de crédit pour les années fantômes. il comprends pas tout margot. mais arthur assure en belles phrases la réalité de la retrouvaille.
promis j'ai pas cessé d'exister
promis je danse encore
mais est-ce que ça compte quand les rideaux se baissent
est-ce que je suis
où est-ce qu'on m'oublie?
un revers de main qui dompte les boucles brunes, un souvenir de une. un souvenir qu'il a dû garder dans le fond d'un tiroir. perdu dans le noir. pourtant ça brillait ce soir là, projecteurs flambeurs. applaudissements tous en cœur.
un an qu'il l'a revu, un an pour réapparaître. arthur restera brise sauvage. introuvable jusqu'à ce qu'il accepte l'invitation.
- eh bien admire, je suis tout à toi.
admire le massacre qui s’abat tout les soirs sur manhattan. admire l'ambition obsessionnelle qui lui ronge les os. observe ou voit. admire jusqu'à en vomir.
un rire,
un mégot qui retrouve le sol,
les pieds qui gigotent,
margot il sait simplement combler les trous. il a pas l'art des mots alors il se tait. il a pas un bout de phrase à balancer alors il sourit.

grimper aux rideaux de fer → Il admire, il admire, aucune problème pour ça. Il a idéalisé Margot, qui dans ses souvenirs dansaient comme un dieu, sur sa photo se tenait comme une star de cinéma, ou une statue grecque.
Il réalise aussi qu'en quatre ans, énormément de choses ont changé. Pour lui, tout de suite. Il repasse en boucle tout ce qu'il a vécu, tous ceux qu'ils a aimés. Tout ce qu'il n'est plus. Il se demande si, dans la tête de Margot, autant de choses se sont déroulées en quatre ans. Assurément, il a gagné en aplomb, il a sans doute qu'il a eu de meilleurs rôles.
Sans doute qu'il n'a pas changé...
On ne change pas quand on vit à New-York, quand on subit la routine, quand on subit les entraînements perpétuels, toute la journée,
Quand on subit le métro,
Les pointes, pirouettes et les lattes de parquet qui grincent, le sol de la scène qui ploie,
Quand on subit aussi le regard d'un public, toute la sainte soirée.
Ca il connait, il n'aurait pas pu grandir sous un regard.
Il n'aurait pas pu vivre ses idylles interdites, scrutés par des photographes.
Comment il fait lui ? Bonne question, il la lui posera sans doute.
C'est ça d'être une vedette, et de, soudainement, devoir être irréprochable, jusqu'à écraser un mégot sur le sol.
Il lui sourit, finit de tirer sur sa clope aussi, et puis il dit doucement : " Tu veux marcher, vedette ? " Il sait pas pourquoi, mais il réfléchit pas avant de parler, il en a jamais pris le temps, il va pas le faire maintenant qu'il a un bout de cerveau en moins. Puis, alors qu'il mène la danse, il dit doucement : " Et toi, qu'est-ce que t'as fait d'exceptionnel en quatre ans ?"