nuit noire. (alberto)

le champagne coule à flot.
sur ta table est posé un magnum de Ruinart. tu n’as rien à fêter, tu n’as jamais réellement quelque chose à fêter. c’est une soirée détente, après des semaines enfermées à gérer les nouvelles dispositions mises en place par tes soins pour l’entreprise. une semaine de détente après des heures passées au téléphone. une soirée de détente après des heures d’avions depuis la France, un retour à New-York en grande pompe.
c’est seul que tu désirais passer la soirée, pourtant à tes côtés deux demoiselles se sont fait désireuses de partager ton espace vital. la bouteille de champagne sans aucun doute, ou tes airs d’homme d’affaire. t’as déposé ta cravate sur le dossier de la banquette, t’as enlevé ta veste de costume et tu écoutes les récits des deux jeunes femmes. des sœurs, arrivées au pays il y a peu, des italiennes à en croire leur accent trop prononcé. elle se disent danseuses, mais tu n’en crois pas un mot. elles n’ont pas le port de tête adapté, elles ne sont pas assez élégantes, mais tu les laisses prétendre ce que bon leur semble. tu serres les coupes, tu en bois une énième et alors que tu pensais ta soirée sur le point de devenir des plus ennuyeuses, ton regard clair se pose sur Alberto. l’artiste controversé à la gueule fracassé. la bête noire que beaucoup semble fuir, l’homme qui marque les esprits. Freddy t’en a parlé, et toi, tu t’en es approché il y a quelques semaines peut être quelques mois. il a su animer ta curiosité.
alors tu te redresses, la tête te tourne légèrement et un sourire immenses fend ton visage. [color=tan]alberto ![/i] tu cris presque, pour qu’il te voit. un signe de la main pour lui demander d’approcher. qu’il vienne plus près, partager avec toi le reste de ta soirée. il la rendra, tu n’en doutes pas, beaucoup plus intéressante. de toi, il ne connait que ton prénom, se doute certainement que les affaires se font fructueuses. me ferais-tu la joie de te joindre à nous ? tu as déjà fait le tour de la table, tu t’es rapproché, ta main sur son épaule pour l’attirer vers la table.

il est pas taillé pour ce genre de soirée où il est trop souvent l’allumette qui fait le brasier.
celui qu’on finit par plus contrôler, celui qui fait de la forêt la cuvette de l’enfer. sans faire exprès, presque maladroitement. aujourd’hui n’est pas différent. aujourd’hui il s’était dit que ça serait une journée ni trop mal ni trop bien, qu’il ferait rien. qu’il tournerait en rond, sans sommeil. il a les cernes qui se creusent comme deux tranchées ennemies, comme s’il cherchait à rentrer dans un foutu guinness book. au moins il serait quelque part, entre deux lignes,
entre deux paris stupides d’irlandais crasseux.
aujourd’hui n’était pas différent, il faisait son grand tour pour repartir du point A jusqu’au point B. parce que l’art ça transcende les vertèbres. paf. c’est un jeu d’échec en un seul coup gagnant.
paf, le gros lot.
les serpentins en forme de boyaux qui jonchent le sol comme de la colle.
ça lui donne l’impression d’un énorme piège à rats alberto, sinon pourquoi il se sentirait comme une merde chaque matin ?
il a pris une coupe comme absolument tout le monde, il comprend pas vraiment ce qu’il fête, si à ce stade il a besoin d’une occasion particulière pour prendre ce qu’on lui offre. si un artiste ça réfléchit autant à des trucs aussi cons. il ne cherche personne. il divague dans un questionnement intempestif, à la recherche d’images à faire vomir. faut qu’il capte freddy. sans hémoglobine, qu’il le capte. qu’il le plante, comme un poignard sur de jolis mots. il veut faire un carnage, il le fera.
pas de blouson noir ni de cuir bousillé. il a rien trouvé de mieux qu’une chemise orange qui pique les yeux.
l’orange du prévenu qui finit sur la chaise électrique. l’orage qui fait fuir le soleil.
il est étonné alberto, en voyant oscar. c’est pas possible de se croiser aussi souvent, de ronger les mêmes os comme ils le font. si bien qu’il l’imagine aisément journaliste, il a toujours une chemise impeccable oscar. il reste un moment, stoïque, à fixer les deux filles. et il a un peu honte d’être italien tout de suite. mais qu’est-ce qu’il pourrait dire ? un petit accent français et il y a strictement personne là-haut pour le faire revenir aux commandes. il sait pas s’il veut s’inviter, réellement. mais ce qu’il pense pèse pas bien lourd sur la balance. il a déjà ce petit sourire d’ailleurs parce qu’il est bien trop heureux, à tort ou à raison, de tomber sur oscar.
même s’il se sent à chaque fois aspiré par quelque chose qui lui échappe.
peut-être qu’oscar est pas journaliste, parce qu’il met les gens à l’aise bien trop facilement.
que ces deux filles sont certainement pas là pour rien non plus, aucun intérêt à se taper un fauché.
il fait un bref salut de la main, aux deux filles en face de lui.
- je voudrais pas vous déranger, t’es sûr ? il en a rien à foutre, il en a tellement rien à foutre qu’il s’est déjà assis alberto. qu’il a déjà pris la peine de reluquer une des deux filles.
il peut pas s’empêcher de penser
figlie di puttana.
avec un sourire trop poli.
son regard se tourne naturellement vers oscar, curieux. parce que ça lui saute aux yeux qu’après. la manoeuvre plus ou moins consciente de se constituer un carpaccio.
parce que ses filles savent pas trop où elles vont mais lui, il commence à percevoir son propre reflet dans ses yeux qui donnent aux abysses une nouvelle forme d’art.   

alberto prend place, et tu t'installes juste à côté de lui.
il a suffit de quelques secondes pour que tu ne leurs portes plus aucun intérêt, aux italiennes en face de vous. il a suffit que tes iris croisent la silhouette de l'artiste pour que ta soirée se redessine, prenne une nouvelle tournure. les idées émergent déjà une à une, comme des foutus popcorns dans ton cerveau dérangé. un sourire en coin quand il ouvre la bouche.
tu ne déranges personne. au contraire.
tu n'es pas certain d'exprimer le sentiment de tous. les deux jeunes femmes vous observent, la mine défaite, bouches tordues en un sourire forcé. ce qui ne leur empêche pas de profiter du champagne, de parler entre elles dans leur langue maternelle, persuadée que vous ne comprenez ni l'un ni l'autre. ton italien plutôt mauvais ne te permet de capter qu'un mot sur dix, alors tu tournes ton regards vers alberto. tu observes ses traits avec curiosité, sa peau marquée par les cicatrices. représentation de ses diverses œuvres. l'homme sous tes yeux devient une véritable oeuvre d'art qui pourrait te faire fantasmer. tes lèvres s'étirent et tu lui sert un verre.
le hasard semble vouloir nous réunir.
lances-tu alors que tu avales une longue gorgée d'alcool pétillant. peut-être n'ont-elles rien d'hasardeuses,vos rencontres, peut-être que tu le suis sans réellement t'en rendre compte. parce qu'ils sont nombreux les moments où tu le cherches du coin de l’œil, dans n'importe quel lieu. peut-être que tu forces les occasions. pour te rapprocher de lui, toucher du bout des doigts un art malsain qui te fascine. son travail, tu en as eu vent, souvent, tu as lu les articles, écouté les potins, les témoignages. t'as apprécié les visages outrés, les femmes scandalisées et les autorités sur le qui-vive. tu n'as rien dit lorsque freddy a clamé haut et fort son inconscience. mais tu as cherché à l'approché et tu as réussi. tu pourrais lui dire que tu aimes ce qu'il fait, que ton seul regret est de n'avoir jamais pu y assister. mais tu restes silencieux à ce sujet, tu préfères grappiller quelques instants de sa vie.
comment se porte le monde des artistes en ce moment ?
tu joues même les innocents.

il dit qu’il ne dérange personne pourtant c’est pas l’impression qu’il en a. pourtant il y a cette fille qui semble lui signifier en un regard qu’il ferait mieux d’se tirer. qu’il ruine tout. qu’il a des allures de ruines aussi. qu’il est ce qu’on oublie de rome, des ruelles pavées de honte. et alberto mime un vaffanculo qu’il regrette vite. peut-être qu’oscar en a plus rien à foutre de ces filles mais pas alberto. alberto il prend la main et il s’excuse comme un enfant soudainement pourri gâté.
il sait pas d’où ça sort. ce besoin d’le créer, le dérangement. de foutre en l’air toute la soirée d’oscar. vraiment. il le connait à peine. c’est pas sensé.
il se retrouve néanmoins là, entre lui et ses poules de luxe. elles parlent en italien, et il fait mine de pas comprendre alberto -quand bien même, tout remonte jusqu’à ses oreilles. et oscar qui le regarde bien trop intensément. à qui il offre un sourire pernicieux. il a pas de mal à comprendre qu’elles en avaient après son fric. il décide de rien dire, pour l’instant. pas par solidarité des peuples mais par curiosité.
parce qu’elles vont finir par regretter ce plan foireux, c’est certain.
son verre se remplit beaucoup plus rapidement quand oscar est dans les parages. ce qui ne l’empêche pas, lui, de le vider à vitesse grand V.
- dans ce cas, j’espère qu’il prévoit de grandes choses. au moins pour la suite de la soirée. à ça sa main vient pincer la cuisse d’une des filles assise à côté de lui. il comprend pas trop si c’est l’alcool ou s’il a pris ça pour un jeu. parce qu’elle le dévisage sans rien dire. elle va pas refaire l’europe de sa bouche, si ? il s’est pas porté volontaire mais maintenant qu’il est là, il guette les réactions d’oscar;
il a jamais signé pour être les rayures de son carrosse à putes.
pourtant il est surpris par sa question. il garde sa main là où elle est, curieux. il lâche un léger rire. honnêtement j’sais pas trop. on m’a dit que j’étais une insulte à l’art. il pince un peu plus fort le bout de peau qu’il a entre les doigts avant de sentir un pincement au niveau de son bras.
ça a fait mal, très mal.
tellement mal qu’il est pas sorti de chez lui en une semaine.
qu’il a cogité jusqu’à se donner des insomnies.
- qu’ils restent entre eux à peindre des boîtes de conserve. il est un peu aigri, beaucoup. il redescend vite de ses mauvais desseins pour se resservir un verre. mais il s'apitoie pas longtemps alberto, il a beaucoup trop de questions en suspens qui mériteraient d’être posées maintenant. maintenant qu’il boit oscar. et toi ? comment ça se passe à ? tu bosses où déjà ? il fait semblant d’avoir déjà la réponse alberto, trop curieux de voir ce qu’il pourrait obtenir de lui ce soir.

tu n'as d'yeux que pour alberto, un sourire amusé lorsqu'il articule une insulte en italien, nouveau sourire quand il s'excuse. tu n'y prêtes pas réellement attention. parce que t'en as plus rien à foutre des deux femmes, à vrai dire tu n'en as jamais eu quelque chose à foutre. elles n'étaient qu'un passe-temps, des femmes vénales pour combler un ennui certain. des femmes faciles que tu n'aurais pas pris la peine de ramener chez toi, pourtant tu es certains qu'elles se seraient données du mal.
tu acquiesces d'un signe de tête à la remarque de l'artiste. tu provoqueras le destin s'il le faut, mais la soirée sera prometteuse. tu l'observes, ton œil s'attarde sur sa main qui agrippe la peau près de lui. tu termines ton verre d'une traite. tu secoues la tête de gauche à droite quand il continue. une insulte pour l'art, rejeté par des hommes et femmes incapables de saisir la beauté de ses œuvres.
je pense que tu attises la jalousie alberto.
tu es plus que sincère.
si tu le regardais, c'est une certaine admiration qu'il pourrait y lire. mais t'es concentré sur l'italienne penchée sur la table, poitrine mise en valeur par un décolleté outrageusement plongeant. tu te perds un instant dans tes pensées et tu reviens à toi au son de sa voix. un rire t'échappe après sa remarque acerbe. tu ne pourrais pas être plus en accord. c'est pour des hommes comme lui que tu traînes ta carcasse à la fabrique, pour des hommes dans son genre que tu donnes ton argent. pour la révolte de l'art. t'émerveiller devant des œuvres qui te retournent l'estomac, le cœur, et bousillent tes neurones. puis il change très vite de sujet, se sert à nouveau un verre.
oh tu sais, je bosse au milieu de la paperasse. tu passes une main dans tes cheveux. enfermé cinq jour par semaine dans un bureau, tout ce qu'il y a de plus... banal.
tu ne mens qu'à moitié, tu restes vague. déguisant sous des airs ennuyeux ta vie mouvementée. tu es un véritable iceberg, il n'y a que la plus petite partie que tu laisses en surface. les bonnes manières et le reste.
et tout se passe à merveille, je n'ai pas à me plaindre.
synonyme d'une vie réussie et d'argent qui ne viendra jamais à manquer. tes mains se posent sur la table, et tu aimerais congédier d'un regard les deux idiotes. tes sourcils se froncent.

c’est pas vraiment important ce que pense oscar. qu’ils soient jaloux ou non. il s’en fiche des critiques alberto. seulement ça fait mal quand c’est quelqu’un du métier qui lui colle ça comme un parpaing en pleine tête. oscar, à l’entendre, il fait quoi de sa vie ? il est notaire, comptable, banquier ? il est un poil déçu alberto, que son nouveau meilleur ami puisse être aussi banal. qu’il ait une vie simple, sans frisson apparent. d’ailleurs il a le visage trop lisse. comme si personne, au cour de cette vie, avait cherché à lui refaire le portrait. pourtant il a le regard dur et froid parfois. pas quand il le regarde mais quand ses yeux se perdent vers ailleurs. puis il redevient étonnement bienveillant la seconde d’après, d’un coup, le coup qu’il s’est jamais pris.
et il s’est pas quoi en penser alberto. il nage en eaux troubles avec lui, il est même certain de pouvoir se noyer si le temps lui permet de décloisonner les murs. avec elles ou non.
évidemment que ça lui réchauffe le cœur de penser qu’il a un semblant de talent.
évidemment que l’art appartient à personne.
à aucune classe sociale.
est-ce qu’on a qualifié la tour eiffel de chef-d'œuvre ? non.
on a dit que c’était une immense cheminée d’usine.
alors oscar avait peut-être raison, peut-être qu’il devrait s’enfoncer. éprouver d’autres formes de douleur. pas pour lui, égoïstement, mais pour les autres.
- personne aspire a être le barge de service oscar. il balance ça comme ça, en vidant son verre, en remplissant les coupes de toute la table. il attend pas qu’on vienne le plaindre, sa réputation il s’en fout du moment qu’il a le fric - qui commence dangereusement à s’évaporer de ses poches. on pourrait croire qu’il habite dans le beau manhattan alberto. à little italy si on pousse le vice. mais il a jamais vécu que dans le bronx malade et envieux. qui plante aux cœurs solitaires un cathéter.
mais oscar est sûrement loin de fréquenter ce genre d’endroit. oscar le comptable.
- si tout se passe à merveille, pourquoi t’es là ? il fronce les sourcils, évidemment qu’il parle de ses finances oscar. mais qui voudrait dépérir dans un endroit comme celui-ci en si mauvaise compagnie - et il ne parle pas de lui alberto. lui qui observe en laissant le blasphème intact. il aimerait qu’elles partent, comme s’il s’était lassé de les avoir auprès de lui. comme si c’était trop facile. comme s’il était un de ces prodigieux joueur de poker.
il a cessé de pincer sa voisine alberto, parce que sa main remonte lentement jusqu’à sa jupe alors que son regard est toujours planté dans celui d’oscar. et qu’il mentirait en affirmant ne pas le provoquer en embrassant langoureusement sa voisine. que la vérité se cache dans les détails. évidemment qu’à choisir c’est oscar qu’il choisirait. il décroche des lèvres de la jeune femme, sans peine. elle est pas particulièrement jolie mais il comprend l’espace d’un instant qu’elle pense qu’il lui ouvre une porte vers le portefeuille du français. ce qui n’est pas du tout le cas, il s’en moque. il pose une main sur sa joue, la pousse comme une comète à venir mourir sur les lèvres d’oscar. et il se dit que c’est pas trop mal pour un début de soirée.

personne n’aspire à être le barge de service.
la phrase résonne au creux de ton crâne.
tout dépend où l'on fixe la barre de la normalité.
ton verre se rempli généreusement, et tu ne tardes pas à en avaler une gorgée, à le terminer même d'une traite avant de répondre à sa question.
par envie.
pour te retrouver dans une autre atmosphère que celle que tu connais déjà par cœur. tu es un caméléon, tu te mêles au monde par pure curiosité maladive. tu n'arrives pas à le cerner alberto, c'est ce qui te pousses sans cesse à vouloir le découvrir. sa main, glisse sur la jambe découverte de votre nouvelle amie italienne. son regard n'a pas quitté le tiens pour autant et un fin sourire se dessine sur tes lèvres. les sous-entendus prennent formes sur ton visage, néanmoins ta mâchoire se crispe quand il embrasse la jeune femme. tu observes le spectacle avec attention, et tu n'es pas le seul -celle laissée pour compte grifferai presque la table. très vite, trop vite les lèvres de la femme sont poussées contre les tiennes. tu la laisses faire, elle se fait avide, sa main glisse dans ta nuque et la tienne c'est sur la cuisse d'alberto qu'elle finit sa course. tes doigts s'y serrent et l'envie qui grimpe en toi n'est en aucun cas destinée à la femme. c'est toi qui rompt le contact, elle se détache difficilement et tu passes la langue sur tes lippes.
tu te laisses retomber contre la banquette, la poigne toujours ferme contre le pantalon de l'homme, une minute avant que tu ne relâches. tes yeux clairs cherchent les siens, et le regard est lubrique.
ne me dit pas que c'est la normalité qui t’intéresse alberto. je n'en croirai pas un mot.
ce n'est pas possible.
ce n'est pas l'aura qu'il dégage, ce n'est pas ce qu'il te fait ressentir.
c'est même tout l'inverse, mais t'as déjà plus les idées claires. l'excitation est déjà de mise, et tu ne t'en caches pas. d'un signe de main tu fais venir l'un des serveurs, tu recommandes une bouteille, de whisky.
tu sors du lot, tu ne ressembles en rien à tout ces autres, qui traînent à la fabrique. et c'est ce qui me plait chez toi.
avoues-tu, enfin. tu fermes la bouche, ne laissant pas plus de mots s'en échapper. parce que l'alcool délie les langues et que tu serai en mesure d'avouer ton nom, de proposer un versement conséquent pour qu'il évolue davantage. casser toutes les barrières qui se dressent sur son passage, simplement pour ton bon plaisir. tu t'es rapproché de lui, ton bras contre la banquette, tout ton intérêt pour l'artiste. tu ne vois plus les femmes, tu ne les entends même plus.

il sent ses doigts, agripper son pantalon. donner une définition plus explicite du mot envie. peut-être même bien du mot luxure. c’est comme s’il était sur un chemin pavé d’or alberto. c’est comme s’il pouvait faire n’importe quoi de ces trois-là ce soir. un peu à la manière d’un chef d’orchestre aux désirs tacites. et on peut pas dire qu’il soit ivre, il y a même un peu de désinhibition pour prendre acte des désirs coupables ou cupides de ses voisins. il les regarde s’embrasser, un instant qui lui semble trop court. il se demande s’il apprécie réellement sa compagnie oscar ou s’il continue à jouer, à provoquer ou plus simplement à lui rendre la pareille. si tout ça c’est par envie aussi. sa main dérange, sa main qu’il ne manque pas de vouloir balader ici ou là sous ses vêtements. mais il se tient affreusement tranquille alberto, il le toise presque quand ses yeux clairs se posent enfin sur lui. ça l’dégoûte pas, peut-être que ça devrait, mais il aime jouer avec le feu quand les flammes marquent la peau. quand le frisson soudain violente l’épiderme. est-ce qu’il cherche la normalité dans ce genre de situation ? non-oui.
- non t’as raison, c’est pas c’que j’cherche. et pourtant tu vois, j’suis à cette table. il affiche encore un sourire poli, le genre de sourire énervant, le genre de sourire qui cherche l’affrontement. il vise personne et tout le monde à la fois alberto, il se cache derrière de bonnes manières et une posture lâche tout en massant la nuque d’oscar avec désinvolture.
il recommande de l’alcool. ils. pas du champagne mais du whisky cette fois. comme s’il cherchait à arracher les ailes aux allures frivoles de leur soirée. c’est pas une boisson de femmes, du moins c’est ce qu’il pense alberto. alors il récupère ses deux mains en voyant la bouteille arrivée, il s’est jamais vraiment accommodé ni au goût ni à l’odeur. il a toujours trouvé ça immonde, immonde au point d’avoir un léger complexe sur la question. sa nuque tombe lourdement contre le dossier capitonné de la banquette laissant à oscar le plaisir de le flatter.
et ça le gêne presque. ça le gêne parce qu’il reçoit rarement des avances ET des compliments d’une même personne. ça n’arrive pas. ça ne fonctionne pas comme ça. il sait pas s’il sort du lot, peut-être qu’il sort du lot ici mais à la fabrique, il en est moins sûr.
il extériorise seulement ce qu’il ne devrait pas. la peur de mourir par exemple. ce qui occupe les esprits comme un cancer, ce qui est là quand on détourne le regard. les monstres qui osent se montrer. la guerre dans le corps, les menottes à l’esprit. les limites qu’il franchit en donnant un bon coup de crosse.
il pourrait faire ça, il pourrait faire en sorte que ça soit moins normal. manquer un suicide qui ne serait pas le sien.
rappeler aux autres, la fin inéluctable qui les lie. la faiblesse de s'épandre de la mauvaise personne. oscar se rapproche, et il se sent un peu coupable alberto, d’avance. il lui sert un verre pour l’endormir alors qu’il oublie, volontairement, de trinquer. alors qu’il oublie inconsciemment le reste, les autres, ce pourquoi il était venu à greenwich.
est-ce que toi t’es normal ? ou est-ce que tu te caches derrière ton allure de banquier oscar ?   

la flatterie a toujours été ton fort. on te l'a enseigné depuis ton plus jeune âge, un moyen comme un autre d'obtenir ce que tu désires. de mettre ceux qui t'entourent dans ta poche, de tenir au creux de ta main un pouvoir sans nom. caresser dans le sens du poil pour mieux donner le coup de grâce. c'est alberto dans toute sa splendeur qui t’intéresse, l'artiste sans la moindre barrière. l'envie de ne pas voir cette soirée se terminer, voir ce qu'elle peut vous offrir. le meilleur comme le pire.
la bouteille de whisky arrive, les femmes font déjà la grimace, et si tu voulais te montrer gentleman, tu leurs commanderai un autre champagne rien que pour elle. mais c'est l'homme qui garde toute ton attention, alors elles s'en contenteront ou elles prendront le large. t'en as plus rien à secouer. il te sert un verre, que tu prends entre tes doigts tout de suite, que tu bois trop rapidement. l'alcool fait déjà vibrer tes neurones, t'as le sourire facile et les mains qui démangent. les doigts qui voudraient se balader sur le visage abîmé que tu laisses finalement crispés sur le dossier de la banquette. il met tes compliments de côté alberto, il les range ou les balance tu n'en sais rien. continue de parler, se fait curieux et toi, tu ris. tu te ressers déjà un verre.
banquier ? tu ricanes encore. c'est bien la première fois qu'on me compare à un foutu banquier.
tu ne peux t'en prendre qu'à toi même. le costume, la cravate. mais t'as la bienséance qu'aucun banquier ne pourrait acquérir en toute une vie. tu fais claquer ton verre sur la table, t'éloignant légèrement de l'homme pour qu'il puisse te regarder presque entièrement. tu te transforme en vrai personnage théâtral.
je vous propose un petit jeu, si l'un de vous trouve la bonne réponse, je lui assure une récompense, celle de son choix.
ce sont les trois que tu regardes maintenant, l'un après l'autre, fin sourire sur les lèvres.
petit a: je passe mes journées au téléphone à négocier des contrats valant des millions de dollars... petit b: je ne suis qu'un amateur d'art, prêt à dépenser des milliers pour les artistes en devenir... petit c: je suis l'un de ses héritiers imbuvables...
tu avales ton verre d'une traite.
les trois sont vrais.

il assimile, oui, avec une lenteur terrible. il comprend ce qui se passe, il le provoque alberto, mais les informations mettent une éternité à lui parvenir. comme s’il avait à lire sur les lèvres pour comprendre. pour lire entre les lignes, les notes grinçantes. le secret derrière lequel il se dissimule oscar. il comprend pas comment l’idée lui est venue. est-ce que ses insinuations avaient frappées son ego ? est-ce que c’est un mal d’avoir une situation enviable ?
n’empêche, qu’il a quand même une dégaine de banquier oscar. qu’il a l’air imperméable à tout. aux critiques, aux insultes, aux élucubrations nocturnes. alberto dévisage la bouteille de whisky, bien décidé à arrêter de suivre oscar dans sa descente d’alcool. il a déjà pas les idées claires mais il compte, au moins, sur ses jambes pour le porter. il ne sera pas désolé au petit matin. il sait pas si oscar dit vrai, il le connaît très peu en vérité. il perçoit ce qu’il lui laisse. les évidences qu’il ne pourrait nier.
maintenant il devenait à la fois homme d’affaires, mécène et héritier. il y en a plusieurs à new york. aucun qui menacerait de lui prêter de l’argent. il sait trop comment ça fonctionne alberto mais jamais il irait rendre des comptes à un banquier. est-ce qu’il dit vrai oscar ? est-ce qu’il est vraiment ce genre de personne ? est-ce qu’il était là pour ça ? son petit jeu.
son petit jeu qui ne cesse de tourner à plein régime.
jusqu’à ce qu’il croise les bras contre sa poitrine, fatigué. mauvais joueur, un peu ivre, il a pas l’intention de participer alberto. son regard se disperse sur la carte.
un nom français.
...
artigue.
oscar artigue.
les surgelés de la ménagère.
son regard croise enfin celui d’oscar, comme pour y déceler la vérité. mais il est pensif alberto, il est taiseux, déçu.
- et moi j’suis mae monroe. il peut pas acquiescer, considérer sérieusement qu’il soit l’hériter artigue. l’héritier artigue ne lui tournerait pas autour. l’héritier artigue ne s’intéresserait pas à lui ou au body art. ça intéresse pas les investisseurs le body art, ça rapporte pas assez d’argent.
évidemment qu’il ment.
et si les italiennes en ont après son argent, c’est pas son cas.
tu peux pas être un artigue.
il se redresse légèrement alors que les italiennes lui soutiennent le contraire par x+a/b dans un italien plus familier. ça l’énerve de penser qu’oscar soit l’héritier artigue, il sait pas pourquoi, il aurait l’impression d’avoir été dupé comme un enfant.
est-ce que tu vends des surgelés ? question légitime, question détournée, question qui cherche à obtenir un non les poings serrés sous la table.