MILLE BOUCHES (moe)

mille bouches

la nuit tombe, tout doucement. c'est une nuit d'été qui sent le béton chaud et les étoiles. c'est une nuit tiède, une jolie nuit pour se noyer dans la douceur d'un regard. alors, jules, elle a enfilé sa plus jolie robe à fleurs - elle se déguise en bouquet, elle fait semblant d'être une rose que l'on voudrait renifler pendant des heures.
elle ne sait pas où elle va (c'est faux), elle marche au hasard des rues (c'est faux), elle laisse le corps prendre le relais sur l'encéphale fatigué. dans les rues, les passants profitent de la fraîcheur tant attendue et personne ne semble voir le bourgeon qui avance, là, tout doucement.
la soirée enveloppe les jambes frêles de jules, comme une caresse minuscule. elle sourit. elle pourrait esquisser quelques pas de danse, là, dans la rue, tant elle se sent légère, (parce qu'elle sait où elle va, jules), mais, bien sûr, elle n'en fait rien.
elle ne voudrait pas tomber,
là,
dans la presque nuit estivale,
il n'est pas l'heure de s'écrouler,
pas ce soir.
ce soir, elle devient petite abeille,
affamée
de poésie
de regards doux
d'une main sur son ventre blanc.
devant la boutique pourtant fermée, le parfum des fleurs flotte dans l'air. entêtant. rhododendrons, camélias, pivoines. cette odeur, c'est celle des cheveux de moe, de son sourire et de ses doigts. cette odeur, elle est tatouée à l'épiderme de moe, comme une promesse qu'on ne dirait jamais.
jules pousse la première porte et s'envole presque dans les escaliers,
elle voudrait crier,
j'arrive moe, j'arrive,
peu importent les jours sans tes yeux,
peu importent les heures sans ta peau,
regarde,
moe,
regarde,
je suis là
mais elle se tait,
crier,
ça pourrait la ralentir.
arrivée devant la porte, elle s'arrête, quelques secondes.
elle reprend son souffle.
jules, c'est la tempête qui vient bousculer la vie de moe.
jules, c'est l'ouragan qui vient s'échouer contre les plages chaudes de moe.
et moe, moe, c'est la tendresse des nuits, c'est le secret des jours.
elle frappe, doucement. cinq coups - comme à chaque fois, comme un mot de passe.
et,
les joues rouges,
le coeur qui danse
un peu,
elle attend,
presque sage
que l'autre vienne lui ouvrir.

mille bouches

robe longue, légère qui épouse les formes, pliures magnifiques qui traverses les jambes nues de la nymphe.
tu oses poser soigneusement le bout de ton pinceau contre la matière éprise.
la forme prend.
prétend à la poésie.
caprice d'une dulcinée trop à fleur de peau pour se détacher d'un monde vide.
le colorer. le dessiner (fasciner) à ta manière.
y mettre un brin de clair. de sombre. jouer avec ce qui est interdit sur une simple toile, un simple papier. rappeler parfois sous ces touches ton pays naissant. le rouge, le blanc. le mélange qui offre une touche mélancolique, à qui tu oses sourire joliment. seule.
face à toi-même.
la nuit efface la clarté naturelle, obligeant l'esprit à s'habituer au faux. lentement tu ramènes ta jambe droite contre ton buste, tenant fermement ton pupitre affamé. arc-en-ciel qui se substitue à ton humeur (odeur), magnifique. magique. (mystique).
laisser trainer sur le support une couche plus épaisse, plus travaillée. une autre plus adaptée, plus simple. normalité qui ne te conviens qu'à moitié (finalement).
ta voix résonne timidement. (un chant de maman), qui vient du soleil levant.
qui vient de l'origine.
qui vient de l'avant.

interruption qui se fait par la porte agressée. ton visage se tourne machinalement, perdue à demi. comme nue devant une fatalité trop grande. cinq coups qui arrachent finalement un rictus à t'es pulpes dessinées. levée, pas qui se font machinalement jusqu'à l'entrée. féline qui se fond. câline qui sait qui l'attend. doucereusement tu ouvres en gardant ce même air -à demi enjoué, à demi précipité (stressé).
la jolie blonde.
la jolie blonde.

jules. qui se présente à toi comme un astre perdu au milieu d'une faune désastreuse. une étoile qui s'illumine sans avoir besoin de facteurs extérieurs. une étoile, une lune. un soleil à grande gueule. bonsoir jules. douceur d'une parole, d'un regard. ton corps en mouvement, l'invitant simplement. de la couleur ornant vulgairement le bout de t'es doigts. le bout de t'es mains. le bout de ton nez. (stupidité maladroite). je ne m'attendais pas à te voir. un rire qui se retiens, léger. mignon, un peu con. tu refermes derrière son passage, à la sublime. tu observes avec retenue sa robe. sa robe et ses courbes naturellement entourées. sans vulgarité. sans ambiguïté. c'est juste qu'elle est belle, jules. mais je suis heureuse. par le temps séparé, par le manque (celui qui n'est pas dit). par l'absurdité de deux âmes incapable de se lier (sûrement). tu as mangé ? tu veux boire quelque chose ? passage à ses côtés, doigts effleurés et puis plus rien. poésie qui se fait, lentement. avec légèreté. j'espère que tu vas bien. une petite question posée là, sous t'es yeux bienveillants (grands). admiratifs. un peu festifs, aussi.

mille bouches

la porte s'ouvre et c'est comme une bouffée d'air frais,
air neuf,
air doux,
air où être soi, où faire tomber le masque et les attitudes foireuses, les œillades enflammées et les mensonges balancés à la face du monde pour faire croire que tout va bien.
elle respire l'air de moe, elle boit l'air de moe, elle se fond dans l'air de moe, toutes les deux minuscules poupées aux yeux d'enfants. près de moe, jules redevient légère. entre les murs de l'appartement cachette secrète, tout semble évident, même les silences - surtout les silences - puisque tout se cache - puisque tout se dit - dans un battement de cils - dans un ombre qui vient se refléter - sur la peau.
moe la douce,
moe petit papillon,
moe si loin des tempêtes, des tourbillons et des orages -
moe l'îlot,
la terre promise,
le refuge.
elle sourit jules, elle sourit gourmandise et simplicité - elle sourit pour la peinture sur les joues de la belle, elle sourit pour sa voix, elle sourit pour l'odeur de fleurs, toujours.
- bonsoir.
le mot flotte dans l'air, une seconde, avant de s'évanouir.
jules entre et la porte se referme, presque sans un bruit - délicatesse, caresse de plume, battement d'ailes. elle jette un regard sur l'antre de l'artiste, s'attarde sur la toile, hausse les épaules - pas qu'elle y soit insensible, jules, seulement qu'elle préfère l'art de moe sur sa peau à elle.
les silhouettes se frôlent dans un bruit de papier,
nuance poésie,
ciel rose du jour qui refuse de mourir tout à fait -
promesses de la nuit qu'elles dessineront, toutes les deux, dans le secret du temps suspendu.
- je n'ai pas mangé. tu as du vin ?
au plafond, les étoiles s'allument. pour elles seulement. jules s'approche de la poupée brune, ses doigts glissent, lentement, sur la peau de son avant-bras, attrape le poignet fin, étire la tâche de peinture encore humide jusqu'à la paume de la main, sourit. inconsciemment, elle ravive les braises, elle efface les distances de l'absence, elle apprivoise l'autre pour la croquer plus facilement, tout à l'heure.
- je vais bien. et toi, moe ?
le prénom roule sur la langue, tandis que l'index se rapproche du visage de la peintre. éclaboussure rouge au coin des lèvres que jules vient essuyer, mine de rien - elle l'étale, finalement, jusqu'au menton. blessure de guerre nouvelle sur laquelle elle vient souffler, comme pour atténuer une douleur qui n'existe pas.
- le rouge te va si bien, tu ressembles à un coquelicot, chuchote-t-elle.