the eye contact art - oscar

museum fights → Deuxième rendez-vous avec l'avocat, première confrontation avec les parents d'Isaak Wagen.
Jamais de sa vie, il ne s'est senti autant à la merci de quelqu'un. Pourtant Freddy Nollekens n'est pas réputé pour être particulièrement impressionnable. Il a tenu tête à quelques grands artistes de ce monde, il en a propulsé quelques uns. Alors face à des inconnus au bataillon, il aurait du être capable de faire face.
Jamais de la vie. Ce couple est là pour du sang, pour une vengeance, pour une tête à couper, ils ont bien mis en place l’échafaud, la guillotine, ils attendent le condamné, qu'ils savent coupable.
Mais le condamné n'est pas coupable, et il le sait.
En ressortant de l'entrevue, il a serré la main de son avocat, de celui des Wagen, il a tenté de serrer celle des parents, ce fut un échec cuisant, évidemment, et dans un froid glacial, ils ont passé le pas de la porte. Il est arrivé aux toilettes, il a vomi ses tripes. Tremblant comme une feuille, il s'est lavé les mains, s'est ressaisi. Comme il a pu.
Il a ensuite passé un coup de téléphone au siège social Artigue, demandant le PDG, Oscar de son prénom. On lui a dit qu'il était en réunion, il a insisté, précisant bien le prénom et le nom. Frédérique Nollekens. Il attend un moment ... Il attend un long moment, finalement au téléphone, résonne la voix d'Oscar.
Il n'y a que deux voix qui peuvent le calmer en ce bas monde.
Celle d'Allen, et celle d'Oscar. Les deux lui manquent cruellement, il a bien le PDG au bout du fil. Il donne rendez-vous ce soir. Vernissage de la rétrospective Georges de La Tour au Metropolitan Museum of Arts. Il accepte, évidemment, peut-être qu'il a un dîner, peut-être qu'il l'annulera, comme le font bien les amis.
Freddy raccroche, sans sourire, mais plus calme. Il court à un autre rendez-vous, avec une chanteuse, dans un cabaret. Des histoires de programme à arranger avec une grande première. Il l'aide un peu, voit quelques détails avec directeur de la salle, propose un discours d'encouragement à sa jeune première en loge, puis il s'excuse, doit l'abandonner. Il file chez lui, se changer, emprunte un taxi en costume, et arrive finalement devant le Met.
Il a bien deux invitations et un nœud papillon. Tout ira bien.
Arrive finalement le cavalier d'un soir, dans un costume parfaitement taillé. Il n'est pas doué pour reconnaître les griffes, alors, il se contente de lancer, à son attention, lorsqu'il arrive à sa hauteur : " Eh bien, quelle élégance. Bonsoir" Il lui sourit, lui tend la main, qu'Oscar serre. Il tend ses invitations à l'entrée, puis ils entrent, échangent des banalités sans intérêt, et lorsqu'enfin ils entrent dans la galerie de la rétrospective, Freddy demande : " Rassure moi, tu n'as rien annulé pour venir ? Je suis désolé, c'était un peu soudain, un désistement de ma cavalière." Il n'avait pas de cavalière.

la secrétaire entre, elle te demande expressément mais tu n’entends pas, d’un geste de la main tu lui signifies qu’elle dérange. elle sort, la réunion reprend son cours. autour de la table, plusieurs investisseurs, plusieurs futurs clients. tu vends la marque mieux que la vendait ton père, tu évoques les bons points, n’en trouves jamais de mauvais, tu exposes les faits, tu emmènes de nouvelles idées: utiliser des produits américains, les transformer et faire comme les français, tamponner un fait maison -parce que vous emploierez un réel chef pâtissier- et les vendre au prix fort. deuxième idée, faire des produits accessibles à tous, développer la branche. de nouveau la secrétaire entre, te coupe dans ton élan te faisant froncer les sourcils. freddy. téléphone. sont les seuls mots qui parviennent à tes oreilles. ton attention se reporte sur tes invités, tu termines tes pensées avant de couper court à la réunion. tu te lèves sans plus attendre. murmure un excusez moi. quelques minutes plus tard ta voix résonne dans le combiné, à l’autre bout celle de ton vieil ami. il propose un rendez-vous, que tu acceptes sans prendre le temps de réfléchir, sur ton agenda devant ta secrétaire est pourtant noté en majuscule un dîner important. tu raccroches, demande à mademoiselle de décommander tes projets de la soirée ainsi que ceux du lendemain. les soirées avec Freddy sont connues pour durer plus de douze heures consécutives.
c’est un chauffeur qui te dépose devant le Museum of Art. t’as revêtu un costume taillé sur mesure, un Cartier porté une seule fois. on vient t’ouvrir la porte et tu descend de la voiture. Freddy est déjà là, et un sourire fend ton visage quand tu t’approches de lui, tu serres la main qu’il te tend et tu saisis en un instant que quelque chose ne tourne pas rond. mais tu ne dis rien, vous entrez, l’échange de banalité est comme une mise en scène que vous répétez à chacune de vos rencontres. tu ne comptais pas assister à ce vernissage, mais tu ne refuses rien à monsieur Nollekens, jamais. j’ai toujours quelque chose de prévu, tu le sais bien. mais rien d’assez important pour que tu t’en soucies. réponds-tu en souriant, alors que vous évoluez dans le musée. tes mains croisées dans ton dos, tu observes les peintures placardées, essayant de les apprécier. sans réel succès. tu grimaces. quelle femme a été assez courageuse pour te poser un lapin ? tu ricanes. il ment. personne ne le décommande.

museum fights → Il regarde Oscar monter les marches du Metropolitan Museum of Arts, avec une classe des plus grands. Il discute avec aisance, est capable de faire la conversation sur n'importe quel sujet. Instruis, intelligent, avec beaucoup de succès, rien de lui échappe, rien ne va mal dans sa vie. Oh si, un mariage à l'eau, mais en 1966, si on est pas une fois divorcé, on n'est totalement ringard. Il l'observe regarder les différents tableaux, les de La Tour les plus sublimes de ce monde, la redécouverte d'un artiste adoré de son temps, oublié par la suite, et dont tout le travail historiographique reste à faire... Mais Freddy ne pense pas à de La Tour, il pense à Oscar, qu'il observe de dos.
Oscar est certainement la seule personne dans sa vie, avec son bien aimé frère, dont il ne se souvient pas de leur rencontre. Il le connait depuis si longtemps, depuis toujours, comme s'ils avaient toujours été ensemble, comme si la vie sans lui n'avait jamais existé. Toujours dans un coin de sa tête si les choses tournent mal.
Les choses ont mal tourné pour Freddy, et il l'avoue avec honte désormais : il n'a presque pas parlé à Oscar de toutes les mésaventures auxquelles il avait fait face, au cours des dernières mois. D'abord le suicide, suivi directement de la remise en question de sa propre carrière, avant le procès, bientôt entamé. Il a voulu en parler, n'a pas trouvé le temps, a préféré s'abrutir dans le travail, la passion, l'acharnement. Il est encore temps d'oublier sans doute, juste à en devenir une bête sauvage, incapable d'émotions.
Freddy l'a toujours revendiqué, pas d'émotions.
Pourtant il a pleuré devant Mae, plusieurs fois, et elle était là ce soir là, où tout a bousculé.
C'est sans doute pour cela qu'il n'en parle pas à Oscar, de tout ce qu'il lui arrive, qu'il n'ose pas déclamer ses faiblesses face à un homme, un vrai.
Doucement, il se rapproche, entend sa remarque puis sa question. Il réfléchit rapidement à une cavalière. " Mary Nephew, la fille d'un de mes talents, qui travaille à Broadway. Elle voulait rencontrer du monde." Mary Nephew n'existe pas, cependant Oscar ne connait pas tout son entourage, et c'est tant mieux.
Sans doute qu'il devrait expliquer, arrêter de se baricader. Pourtant, tout ce qu'il trouve à dire, c'est : " Le Met a acheté ce tableau pour plusieurs centaines de milliers de dollard. Tu trouves ça mérité ?" Il n'aime pas parler de lui, il préfère étudier le goût de son ami.

tu es curieux de savoir ce qu'il compte bien inventé. tu joueras le jeu, un temps. au fil des années vous vous êtes cernés, tu as appris à le connaitre, tu as marché dans ses pas pour t'élever, pour devenir l'homme que tu es aujourd'hui. rares sont les moments où vous vous confiez l'un à l'autre, rares sont les occasions où vous parler à cœur ouvert de ce qui peut vous toucher. la dernière fois, après ton divorce, des heures d'échanges sur des sentiments que tu pensais grands et indestructible. tu penches légèrement la tête sur le côté quand tu entends le nom de la cavalière fantôme, t'essayes de te remémorer un visage, puis finalement tu tentes de lui en créer un. même le nom semble factice. mais tu n'as pas le temps de réagir, son regard se tourne vers un tableau et tu en fais de même. observateur. tu ne l'apprécies pas, tu n'y parviens pas comme tu le voudrais. ton esprit trop vagabond, se posant mille et une question sur votre entrevue du jour. une longue minute s'écoule avant que tu n'ouvres la bouche, tes bras viennent se croiser contre ta poitrine.
à croire qu'ils ne savaient pas comment mieux investir leur argent. tu souris en coin. je ne l'aurai pas acheté, même pour dix misérables dollars. haussement de sourcil dédaigneux.
puis tu reportes ton attention sur d'autres toiles, mais rapidement tes yeux clairs se reposent sur freddy. tu passes une main sur son épaule que tu serres vigoureusement, l'emmenant dans ta marche.
je sens que quelque chose te tracasse. je me trompe ?
tu ne tiens pas plus longtemps, tu n'as jamais su être patient.
cette exposition n'était qu'un prétexte... tu sais bien que ce n'est pas ce qui me ... fait vibrer.
t'as un sourire en coin. un sourire qui signifie qu'il peut y aller, il peut tout te dire, maintenant. ou continuer à faire semblant. la promenade sera tout aussi agréable.

museum fights → Freddy observe longuement le tableau. C'est un chef d'oeuvre parmi les chef d'oeuvre. de La Tour bénéficie d'une grande attention sur la scène internationale depuis les années 30, lors de sa redécouverte lors de l'exposition intitulée "les peintres de la réalité", à l'orangerie, en 1936. Il se souvient y avoir mis un pied, lorsqu'il était jeune, et avoir été complètement fasciné par tous ces tableaux étranges, aux couleurs sombres et sobres, aux aventures ennuyeuses, de vies de paysans. Et parmi tous ces tableaux grisâtres, quelques de La Tour, une partie de cartes avec triche, et puis un charpentier qui enseigne à son fils comment tailler le bois.
Les de La Tour lui font toujours un effet étrange, comme si la spiritualité était exacerbée dans la lumière, dans la géométrisation des formes qui se détachent des fonds sombres, ou clairs. Si bien que la réflexion de son ami le fait sourire. Il n'est pas d'accord, alors il glisse doucement : " Eh bien, ton goût ne s'améliore pas." Il voudrait lui montrer le tableau comme lui le voit, lui explique tout ce qui l'élève au rang de chef d'oeuvre, mais au lieu de cela, Oscar pose une main sur son épaule et, fermement, l'emmène ailleurs, déambuler vers d'autres tableaux. Freddy glisse ses mains dans ses poches. Bien sûr qu'il n'a trompé personne avec son excuse en carton, bien sûr qu'Oscar connait toute la bonne société de New-York. Il marche un peu, il l'écoute. Rapidement le silence, il n'ose pas parler. Il ne sait pas comment on parle à un ami de ce genre de choses, il n'est pas à l'aise. Comme si, depuis la mort d'Isaac, tout lui rappelait constamment son erreur, comme s'il devait toujours expliquer ses sentiments, marcher sur un fil, rester viril.
Il sourit, bien sûr que ce n'est pas ce qu'il le fait vibrer. Il préfère le contemporain, l'art qui vit, dont les artistes peuvent respirer à côté des toiles. Alors il glisse, doucement : " Oui tu as raison." Il le connait à la perfection. Il lui jette un regard. Les yeux d'Oscar ne cesseront jamais d'être aussi bleus. Il se lance, sans confiance " J'ai eu un rendez-vous avec les parents d'Isaac Wagen. Ils sont bien décidés à ce que je finisse mes jours en prison."